• Ces derniers jours il y a eu :

    une nouvelle conversation avec les Anglais - qui ne sont pas anglais mais south-african entre autres

    un feu dans la cheminée pour contrer le vent et tous mes habits imprégnés de l'odeur

    un blackout dans mon rêve : l'obscurité et le silence, d'un coup, et je n'avais jamais ressenti tel silence, et plus rien n'avait d'importance

    un voyage en train, encore

    une analyse de pièce, un google doc commun de douze pages, qui parle de monuments, de morts, des présences qui traversent les lieux
    et de ce que nous y déposons

    un cours de théâtre qui est désormais la chose la plus difficile de mes semaines puisqu'il n'y a plus de cours de conduite
    - mais cette fois j'aime ça aussi

    et les deux dragées prises juste avant

    Il y a aussi des projets comme : monter mon bureau, aller au théâtre (plus facile, donc, que d'en faire), faire les courses, écrire une critique,

    écrire

     


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  • J'ai pris une douche brûlante et j'ai enfilé un pull. Deux ans auparavant, je me baignais dans la Méditerranée, et j'avais même racheté un tube de crème solaire. Je me pose la question: me suis-je, finalement, habituée au soleil ? A la chaleur qui dure, à la pluie rare et lourde, et puis au bruit constant, jour et nuit, à l'accent des gens qui parlent fort, tout ça jusqu'aux premiers jours du vent qui transperce la peau et glace les os. Dans ma chambre il fait froid et le soleil n'est pas le même, la pluie dehors est fine et le silence règne. Je n'en reviens pas, du silence ; je dors d'une traite sans me réveiller une seule fois. Le cap des trois heures du matin a disparu comme s'il n'avait jamais existé, il n'y a pas d'inquiétude et même pas de porte encombrée/barricadée/obstruée. Je passe à travers le changement de lieu. easily through it.

    J'ai enfilé un pull pour braver la campagne et les cheminées qui ne sont pas encore allumées. Il y a mes parents à ma gauche et à ma droite, John qui parle un français correct mais hachuré, je lis sur son visage l'effort considérable que cela lui demande. Il dit qu'il est soulagé que je sois venue, parce qu'elle est vraiment là, la barrière de la langue. Il dit je comprends tout ce que ton père dit mais je ne peux pas parler. Moi je peux, je navigue entre les langues en trébuchant parfois parce que les mots anglais viennent à la place des mots français, je veux dire tackle quand je dois parler français, mais c'est quand même la confirmation de la concrétisation du rêve, de ma décision en terminale de ne pas étudier les livres français mais d'apprendre l'anglais et ses cultures, simplement parce que c'est tellement beau, l'anglais. Il dit your English is exceedingly good et peu de choses me font autant plaisir que d'être comprise quand je parle.

    Parfois j'ai l'impression qu'il y a eu une erreur quelque part et que l'anglais aurait dû être ma langue maternelle ; mais j'apprécie la distance que cette langue déploie entre moi-même et ce que je dis. C'est pas vraiment moi, quand je parle anglais. Peut-être que c'est plus facile.


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  • Ma tête hurle toujours. C'est le combat à qui criera le plus fort, là-dedans. J'ai beau tenter de m'assourdir à coup de playlists rythmées, de trucs qui font sourire, de chansons qui font danser, il n'y a rien à faire. Je ne l'écoute pas mais j'entends que ça hurle quand même. C'est encore plus flagrant de le silence de mon nouvel appartement. C'est peut-être le changement, ou alors, les mots que j'ai prononcés au début de la semaine et qui m'ont rendue vulnérable, de ceux que je ne prononce jamais parce qu'ils sont à la fois ma force et ma faiblesse.

    Je me suis rendue vulnérable parce que j'étais bloquée, encore un exercice où mon cerveau ne suit pas, alors j'ai décidé de l'être un peu plus encore ici. Allez-y, les IRL, regardez comment ça se passe en vrai, feuilletez les pages où je tourne en rond, comme toujours depuis dix ans.

    Moi j'ai tout parcouru et ça m'a fait sourire.

    Peut-être que c'est une manière de hurler (pourtant j'ai encore du mal avec Duras).

    Certainement.

    .

    Ils se souviennent de mon prénom. Ils se souviennent de moi. C'est ridicule, hein, bien sûr que c'est ridicule. J'ai toujours l'impression d'être transparente. Parce que je suis incapable de prendre la parole, je me fais oublier. Je l'ai cherché. Au lycée, au milieu de l'année, un garçon a demandé à la mention de mon nom en cours de français, "mais c'est qui ?". J'écoute les discussions mais je ne dis pas un mot et ça ne se remarque pas. Je souris, je ris, je suis très bon public. Je n'ai jamais rien à dire ; disons que ça ne vient pas, ou que ça vient tout embrouillé en sensations et en pressentiments. Et pourtant je passe mes étés à parler devant dix à cinquante personnes six heures par jour.

    Je sais pas vraiment ce qu'elle hurle, la voix dans ma tête, je crois qu'elle veut me dire que je suis incapable de faire du théâtre, que je suis incapable d'écrire bien, d'écrire beau, que je n'aurais rien dû dire, que je suis incapable même du projet professionnel que j'envisage, et que je me comporte mal, que c'est pas comme ça qu'on fait avec les gens. Des trucs comme ça et d'autres.

    Ils se souviennent de mon prénom, je disais, et ça me fait toujours un pincement amer bizarre. Il y a eu d'abord une personne que j'ai connue several years ago, la première que j'ai entendue parler anglais à la fac, qui m'a dit on se connaît, vous m'avez déjà eue, votre nom m'était familier. Et puis mardi, ce garçon devant l'opéra qui me dit et toi? et qui prononce mon prénom.

    .

    J'ai l'impression de devoir m'excuser d'écrire encore ici, et d'écrire des choses aussi insignifiantes. Mais j'ai aussi l'impression que c'est une étape nécessaire pour la suite.

    A demain ;


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  • J'ai changé de fac. Je suis revenue. J'y ai pas cru, je pensais que je ferais marche arrière, à qui ça arrive, de faire deux masters dans la même filière ? J'ai pas trouvé d'excuse tout de suite. Puis c'est apparu, gros comme une maison, allez bam, la pandémie, faut bien que ça serve à quelque chose. Je dis que je suis restée sur ma faim, que j'ai fait un master en théâtre mais pendant le covid, alors bon, vous imaginez. Je dis aussi : élargir le champ des possibles, en voir plus sur le métier qui m'intéresse. En fait, j'ai toujours rêvé de redoubler. Est-ce que c'est moins dur, avec deux ans de plus, est-ce que le décalage s'amoindrit ? Est-ce que je réfléchis mieux ? Est-ce que j'arrive à faire mieux ?

    Depuis mon passage à Galway les chamboulements s'amoncellent. J'ai déménagé cinq fois dans quatre villes différentes. Je me suis fait des amis, enfin pas à Galway, parce que je ne sortais pas, j'avais mal d'angoisse et tout allait trop vite, et puis ma coloc a supprimé son profil Facebook et ne m'a jamais reparlé. A Avignon, oui, what a blessing, ces amis, ces gens avec qui rire, manger, aller au théâtre ou à l'église (pas les mêmes), avec qui refaire le monde avec une pizza sur la place du palais des Papes, ou partager le travail et les nuits blanches. Enfin, je crois qu'ils sont mes amis, parce qu'ils me parlent très peu eux aussi, maintenant que je suis partie. Disons qu'ils me répondent.

    Je suis revenue dans la première ville où j'ai étudié. Je connais. C'est moins dur. Peut-être que j'ai cherché du confort. Sauf qu'ici les relations sont tellement difficiles à nouer, forcément quinze personnes c'est plus que les six d'avant, mon cerveau hurle sans arrêt elle est où ma place ? Moi je ne parle pas, je n'interviens pas, je rentre à peine dans le cercle, parfois on me tourne le dos - mais enfin il n'y a que moi qui fasse attention à inclure tout le monde ? Depuis trois semaines j'observe, j'analyse, parfois j'abandonne et j'attends, parfois je change de place. Souvent je m'en vais, il est là le décalage, dans le bruit la foule et l'alcool je fuis, je suis une meuf chiante et tout le monde le dit à demi-mot depuis longtemps, et moi aussi à force. Et je m'en fiche, de ne pas m'amuser ainsi, parce que justement ça ne m'amuse pas, j'ai le théâtre et les livres et la musique avec tout ce qu'il y a autour, ça me suffit. Je veux juste trouver ma place là-dedans et ça prend plus de temps que je ne le voudrais.

    Il est temps grand temps de faire ce que je n'ai pu faire l'année dernière : préparer l'hiver. Réfléchir à comment parer aux heures sombres, trouver déjà le réconfort aux crises, chercher comment garder (retrouver) l'équilibre. Je commence par ici : à bientôt.

     


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  • Alors, c'est ça, que ça fait, de ne plus avoir mal.

    De n'avoir plus rien à écrire.

    Les larmes ne le justifient plus, les battements de coeur non plus

    J'ai plongé dans la vraie vie

    ?

    Je ne suis sûre de rien

    La douleur remplacée par la peur

    C'est ça, maintenant, les battements de coeur.

     

    Alors, c'est ça, que ça fait, de respirer

    De s'étonner même de chaque inspiration

    Et de la suite : inspiration, réalisation, expiration

    Le ventre ne se tord plus

    Le coeur bat et ne se serre plus

    ?

    Reste la glace

    Qui ne part pas

    Mais ça

    Il n'y a rien à dire.

     

    C'est vide sans l'être

    C'est seul sans l'être

    C'est être -- mais quoi ?


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  • Et alors,

    la lumière du soleil au travers des feuilles qui s'appose sur le mur de ma chambre
    que j'aperçois dans la caméra juste avant de commencer la réunion

    un concert volant sur Arte concert avec Birds On A Wire

    deux chansons live de Keren Ann à la radio

    une première place de théâtre achetée

    la pluie

    le soleil

    les appréciations d'une (vraie) éditrice sur mon travail en cours

    les sourires sous les masques bleus

    est-ce que ça compense

    tout le reste ?

     


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  •  

    27 avril 

    Le confinement ressemble à l'été, sauf qu'il y a encore des cours. Les interminables étés de mon adolescence, dans le village entouré par les champs, les amis trop loin, la famille trop loin, la léthargie de la solitude. Sauf qu'il y a, en plus, cette menace insidieuse, cet avertissement sourd, tout le monde peut tomber malade, tout le monde peut mourir, encore plus que d'habitude. Et je réalise tout cela de loin, je ne peux pas prendre la mesure de ce qui se passe - en fait, j'ai l'impression que si je comprenais réellement, si j'arrivais à, disons, envisager ce virus, ces milliers de morts, et tous les vivants qui s'efforcent de parer à la catastrophe, je m'effondrerais. Après environ quarante jours entre quatre murs, c'est à eux que je me raccroche, et je n'arrive plus à sortir, je ne pose plus le pied dans la rue et je crois que le onze mai n'y changera rien.

     28 avril 

    Maintenant, j'étire les heures en lisant. Je voudrais recommencer à écrire, j'aimerais trouver un moyen de renouer avec ce qui m'a fait respirer pendant tant d'année, mais autrement peut-être. Je suis persuadée qu'il faut lire pour écrire, je ne vois pas d'autre solution, du moins c'est ainsi que je le conçois ; alors je me force à rester des heures à tourner les pages, mais c'est difficile et j'ai du mal à me concentrer. Pourtant, ça n'est pas désagréable, et je le sais. Depuis février et les cours avec celle qui parlait si bien des livres (c'était un peu son métier), j'ai repris le chemin de la librairie, parce que j'ai senti que c'était ma vie, ça aussi.

    Je lis en anglais, c'est une victoire, ça ne me fatigue presque plus, seulement ensuite j'écris en anglais, je me parle en anglais, et je suis encore loin d'être bilingue. En fait, je dois réapprendre à écrire en français. Je dois apprivoiser ma propre langue, revenir à elle parce que c'est celle que, malgré tout, je connaîtrais toujours plus que les autres. 

    29 avril

    Insomnie. Douleur physique de l'inactivité du corps. J'écris à H. une lettre que j'envoie à l'adresse mise en place par l'artiste à laquelle je me raccroche depuis le début de l'enfermement. Elle le lit le soir même, elle prononce le H à la perfection, mon cœur explose. Je ne dors pas non plus. 

    Choses auxquelles je m'accroche : les pièces de la maison ; les repas qui rythment ; les dates limites des devoirs à rendre ; le rendez-vous de vingt-deux heures. 

    30 avril

    H. est heureuse et j'apprends que God inspired me well de lui avoir écrit cette nuit-là. 

    Je fais de mon mieux avec tout le monde, je prends des nouvelles de mes amis, mais mon cœur hurle à l'intérieur, talk to me, talk to me please, I feel lonely

    Aujourd'hui il pleut. Je recopie un poème dans un cahier de brouillon déchiré, que j'ai décidé de consacrer aux poèmes découverts ; je n'avais emporté aucun carnet. Aujourd'hui il pleut très fort et la pluie s'arrête, et revient, et mon cœur se serre dès que j'aperçois les gouttes sur la fenêtre. C'est une sensation étrange, je suis toujours sous le coup de l'électrochoc de la nuit. C'est une sorte d'euphorie mélancolique qui m'a envahi. J'ai envie, ma léthargie me laisse du répit, mais j'ai peur de l'après. J'ai peur que les chiffres remontent, j'ai peur de passer mon été avec un masque, j'ai peur de ne plus jamais réussir à m'envoler ailleurs, j'ai peur de ne plus retrouver les théâtres comme ils étaient, j'ai peur que le monde de la culture s'effondre, j'ai peur de la crise, j'ai peur de ne pas pouvoir revoir la ville aimée avant septembre.

    Depuis trois jours, j'étire les nuits, aussi.

    Et puis, l'arc-en-ciel, et puis, la musique. Toujours. 


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