• April 2020 (the very end of)

     

    27 avril 

    Le confinement ressemble à l'été, sauf qu'il y a encore des cours. Les interminables étés de mon adolescence, dans le village entouré par les champs, les amis trop loin, la famille trop loin, la léthargie de la solitude. Sauf qu'il y a, en plus, cette menace insidieuse, cet avertissement sourd, tout le monde peut tomber malade, tout le monde peut mourir, encore plus que d'habitude. Et je réalise tout cela de loin, je ne peux pas prendre la mesure de ce qui se passe - en fait, j'ai l'impression que si je comprenais réellement, si j'arrivais à, disons, envisager ce virus, ces milliers de morts, et tous les vivants qui s'efforcent de parer à la catastrophe, je m'effondrerais. Après environ quarante jours entre quatre murs, c'est à eux que je me raccroche, et je n'arrive plus à sortir, je ne pose plus le pied dans la rue et je crois que le onze mai n'y changera rien.

     28 avril 

    Maintenant, j'étire les heures en lisant. Je voudrais recommencer à écrire, j'aimerais trouver un moyen de renouer avec ce qui m'a fait respirer pendant tant d'année, mais autrement peut-être. Je suis persuadée qu'il faut lire pour écrire, je ne vois pas d'autre solution, du moins c'est ainsi que je le conçois ; alors je me force à rester des heures à tourner les pages, mais c'est difficile et j'ai du mal à me concentrer. Pourtant, ça n'est pas désagréable, et je le sais. Depuis février et les cours avec celle qui parlait si bien des livres (c'était un peu son métier), j'ai repris le chemin de la librairie, parce que j'ai senti que c'était ma vie, ça aussi.

    Je lis en anglais, c'est une victoire, ça ne me fatigue presque plus, seulement ensuite j'écris en anglais, je me parle en anglais, et je suis encore loin d'être bilingue. En fait, je dois réapprendre à écrire en français. Je dois apprivoiser ma propre langue, revenir à elle parce que c'est celle que, malgré tout, je connaîtrais toujours plus que les autres. 

    29 avril

    Insomnie. Douleur physique de l'inactivité du corps. J'écris à H. une lettre que j'envoie à l'adresse mise en place par l'artiste à laquelle je me raccroche depuis le début de l'enfermement. Elle le lit le soir même, elle prononce le H à la perfection, mon cœur explose. Je ne dors pas non plus. 

    Choses auxquelles je m'accroche : les pièces de la maison ; les repas qui rythment ; les dates limites des devoirs à rendre ; le rendez-vous de vingt-deux heures. 

    30 avril

    H. est heureuse et j'apprends que God inspired me well de lui avoir écrit cette nuit-là. 

    Je fais de mon mieux avec tout le monde, je prends des nouvelles de mes amis, mais mon cœur hurle à l'intérieur, talk to me, talk to me please, I feel lonely

    Aujourd'hui il pleut. Je recopie un poème dans un cahier de brouillon déchiré, que j'ai décidé de consacrer aux poèmes découverts ; je n'avais emporté aucun carnet. Aujourd'hui il pleut très fort et la pluie s'arrête, et revient, et mon cœur se serre dès que j'aperçois les gouttes sur la fenêtre. C'est une sensation étrange, je suis toujours sous le coup de l'électrochoc de la nuit. C'est une sorte d'euphorie mélancolique qui m'a envahi. J'ai envie, ma léthargie me laisse du répit, mais j'ai peur de l'après. J'ai peur que les chiffres remontent, j'ai peur de passer mon été avec un masque, j'ai peur de ne plus jamais réussir à m'envoler ailleurs, j'ai peur de ne plus retrouver les théâtres comme ils étaient, j'ai peur que le monde de la culture s'effondre, j'ai peur de la crise, j'ai peur de ne pas pouvoir revoir la ville aimée avant septembre.

    Depuis trois jours, j'étire les nuits, aussi.

    Et puis, l'arc-en-ciel, et puis, la musique. Toujours. 


  • Commentaires

    1
    Samedi 2 Mai 2020 à 11:53

    Bonjour, nous avons la chance d'avoir l'écriture et la lecture pour nous soutenir, profitons de ces moments de grâce... Ce confinement est  long pour tout le monde, oui, nous sommes des animaux sociaux, nous avons besoin de vivre ensemble. Ce moment de confinement peut-être aussi utile pour réfléchir au monde "d'Après". Celui que nous souhaiterions.

    Bon week-end et pas de panique, on va bientôt se sortir de ce mauvais pas. yes

     

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